vendredi 18 septembre 2009

Jean-Christian Bourcart /// Camden, New Jersey /// American crisis




C’est absurde, mais j'ai juste cherché sur le Web la ville la plus dangereuse des États-Unis.
Je voulais retrouver cette étrange énergie qui se dégage des lieux où les règles et les contraintes sociales sont abolies ou affaiblies. Un sentiment de liberté mêlé à l'excitation du danger. Je voulais m’assurer qu’il est encore possible d’aller vers les autres, si éloignés, si étrangers qu’il nous paraissent.
En tête de liste, j'ai trouvé Camden, New Jersey, à deux heures de New York. En y allant, j'ai découvert le visage de la pauvreté ordinaire cachée derrière les stigmatisations et les stéréotypes. Les gens sont durs, mais les rires sont sincères, et quand je me suis fait braquer par une prostituée, elle m'a rendu dix dollars pour ne pas me laisser dans le pétrin.
La ville a deux plans superposés, entremêlés, intriqués, l'un évident, géométrique, celui des rues, des voitures, des rares boutiques et des usines toxiques. L'autre est celui des sentiers tortueux entre les maisons éventrées et brûlées utilisées pour se défoncer ou pour le sexe.
Au début, je photographiais les junkies dans la rue pour deux dollars la séance. Et puis j'ai rencontré Suprême, que je paie 20 dollars chaque fois qu'il m'introduit dans une maison. Pendant que je shoote, il baratine les gens, prétendant être un étudiant en art ou un flic en civil. Un jour, je lui ai demandé s’il avait déjà fait de la prison; 17 ans pour meurtre me répondit-il.
J'y retourne régulièrement, ramenant et distribuant les photos déjà prises. Je suis fièrement devenu une sorte de photographe de quartier dont les œuvres sont accrochées au-dessus de la télé.
Je suis intéressé par ce que nous avons en commun avec les gens de Camden. Mais à la fois, on photographie toujours une différence et je me demande à quoi ça sert de rajouter du spectacle au spectacle. Peut-être qu’il s'agit de produire des preuves matérielles au sujet de la grosse machine économique et sociale qui nous embrasse et nous répudie. Comment on détermine la vérité - et ce qu’on en fait - est à la base de toutes les luttes sociales et politiques.

le site de Jean-Christian Bourcart
d'autres images ici

Illustrations: 1 et 2, Jean-Christian Bourcart, "Camden, New Jersey", extrait, 2008-2009, tous droits réservés, Jean-Christian Bourcart

lundi 14 septembre 2009

Clément Chéroux /// Diplopie. L'image photographique à l'ère des medias globalisés: essai sur le 11 septembre



Pourquoi n’avons-nous retenu du 11-septembre, l’événement le plus photographié de l’histoire, que quelques images, répétées en boucle ? Dans un ouvrage à la fois riche et concis, Clément Chéroux, historien de la photographie et conservateur au Centre Pompidou, décortique ce « paradoxe du 11 septembre ».

Il existe peu de livres sur le 11-septembre. Depuis 2001, on trouve à foison dans les librairies des ouvrages sur Al Quaida et Ben Laden, le terrorisme en général et la menace islamiste en particulier, ou bien encore des récits de survivants ou des romans librement inspirés des événements de ce matin de septembre. Mais les essais offrant une analyse approfondie et circonstanciée des attentats du 11-septembre en eux-mêmes, de ce qui nous est arrivé ce jour-là, restent singulièrement rares, même huit ans après. Le livre que nous offre aujourd’hui Clément Chéroux, historien de la photographie et conservateur au Centre Pompidou est d’autant plus précieux.

Son titre, Diplopie, n’indique pas d’emblée que l’on a entre les mains un livre sur le 11-septembre. De même, il faut un instant de réflexion pour s’apercevoir que la couverture est une photographie en gros plan d’une des tours du World Trade Center… Diplopie est en fait un terme emprunté au vocabulaire de l’ophtalmologie, qui désigne « un trouble fonctionnel de la vision qui se traduit par la perception de deux images pour un seul objet ». Voir double, en somme. Le terme résume à merveille l’objet des recherches auxquelles s’est consacré Clément Chéroux lors d’un séjour à l’Université de Princeton. Il y a passé méthodiquement en revue la presse américaine et internationale des 11 et 12 septembre 2001, dans le but de comprendre pourquoi, en regardant les photographies du 11-septembre publiées dans la presse, nous avons eu l’impression de voir double. Une telle impression peut correspondre à deux sentiments distincts, autour desquels s’articulent les deux parties du livre : le sentiment de mise en boucle et celui de déjà-vu.
lire la suite sur la vie des idées

Illustrations: 1_couvertures de quotidiens Américains du 12 Septembre 2009. plus d'infos ici
2_couverture du livre Clément Chéroux, Diplopie. L’image photographique à l’ère des médias globalisés : essai sur le 11 septembre 2001, Cherbourg-Octeville, Le Point du Jour, 2009. 136 p., 65 illustrations, 20 €.

jeudi 3 septembre 2009

Les belles images de Taroop & Glabel /// Galerie Sémiose, Paris



Communiqué de presse de la galerie:

Pour cette nouvelle exposition, le collectif d’artiste Taroop & Glabel présentera une sélection d’images des plus pertinente issues de son fonds iconographique constitué par les artistes au fil des années.
Pour le plus grand bonheur de tous.
Réalisée avec le concours de la presse régionale, cette sélection intitulée « Les belles images de Taroop & Glabel » réutilise une quarantaine d’images légendées, simplement extraites des journaux quotidiens. « Garanties sans retouche et sans recadrage », images et légendes n’ont pas été modifiées, ni interverties, mais seulement agrandies « pour assurer une plus grande lisibilité ». Leur autonomie, ces images l’ont incontestablement constituée sur la radicalité
d’un geste artistique qui donne simplement à voir. À voir mais aussi à s’amuser de cette foire aux vanités, aux vieilles illusions et aux fausses gloires par lesquelles, depuis la nuit des temps on se voile le réel.
Fondé au début de la décennie 90, le collectif Taroop & Glabel s’est fait une spécialité de l’observation amusée du monde qui l’entoure. Il sait prendre garde, surtout, aux formes nouvelles qu’emprunte aujourd’hui cet éternel penchant qui est en l’homme de s’abuser lui-même et d’abuser son prochain : société de consommation, société des loisirs, société du spectacle ; règne de la publicité, des parcs d’attractions et du journal télévisé. Tout coïncide ici dans un même éclat de rire, féroce, et pour que vacillent les idoles.
Cette exposition de Taroop & Glabel sera l’occasion de rééditer « Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor ». Un livre d’artiste dont le titre résume tout l’enjeu de la lutte. L’ennemi est ici directement désigné : la bêtise, sous toutes ses formes. La bêtise au travers de toutes ses manifestations, au travers de ses multiples actualisations. Un titre qui fait trou dans ce trop plein d’évidence, dans ce trop plein d’assurance qui sont devenus, plus que jamais, la caractéristique de notre temps.

exposition du 4 septembre au 3 octobre 2009
plus d'informations: galerie Semiose

L'instinct de modules
: texte de François Coadou sur Taroop et glabel
texte d'Emmanuel Latreille sur Taroop et Glabel

Illustrations: 1_ Taroop & Glabel, "Qui peut bien voler ainsi les portails ?", 2009 Impression pigmentaire sur papier; 47 x 57 cm /// 2_Taroop & Glabel, "Aucune photo ne peut rendre la beauté de ce décor", 2009, Impression pigmentaire sur papier; 47 x 57 cm
courtesy galerie Semiose et Taroop et Glabel